Trejo sortit de la Morgue sans avoir témoigné du moindre geste d'affection envers la jeune légiste. Non pas qu'il n'éprouvait aucun sentiment à son égard, bien au contraire. Il l'avait toujours considéré comme sa petite soeur. Mais il avait toujours laissé un gouffre en lui et les rares personnes qu'il appréciait... surtout Lauren. Trop jeune, trop fragile, oisillon à peine éclo, il l'avait protégé, surprotégé sûrement. Pourtant il savait que son contact risquait de la détruire alors il devait la laisser vivre seule, loin de lui. Si elle refusait, il devrait briser les liens les unissant, de force si il le fallait. Lauren, une enfant, à peine une femme, trop pure pour vivre dans ce monde, trop innocente pour supporter son enfer, trop angélique pour rester près d'un homme déjà condamné...
Fils unique, héritier de l'alcoolisme de son père et de la lente déchéance de sa mère. Victime de l'inéluctabe chute du monde moderne dans l'Apocalypse. Trop jeune adulte. Trop jeune pour rejoindre un gang. Trop jeune pour connaître l'amour et la mort. Aimer et voir mourir celle qu'on aime le même jour... trop faible pour encaisser ça. Mais après il avait été à la meilleure école d'apprentissage du monde adulte. 15 ans de prison et le voilà devenu homme. La force, la vigueur et le détermination du vrai mâle mexicain, voilà ce qu'il était devenu... Connerie.
Danny Trejo, El Mexican, une putain de coquille vide plutôt. Il vivait au jour le jour sans but et sans espoir. Le désert et les scorpions pour seuls compagnons et son pote qui lui offrait des fleurs quand les journées devenaient trop longue... toujours 4 roses. Mais avec le temps, même celles-ci avaient perdu de leur éclat et il se demandait quand la faucheuse allait remplir son office et enfin le délivrer de son enfer terrestre. Mais au lieu de lui envoyer sa faux, elle manda son ange vengeresse. Sombre présage ou espoir de rédemption, il n'en savait rien et d'ailleurs il ne cherchait même pas à savoir. Les terres brûlées ne donnent pas toujours plus de blés que les plus beaux Avril. Il avait cru en l'illusion et il y croyait encore. Mais jusqu'à quand pourrait-il jouer à ce jeu ? Elle devrait bien un jour sentir l'inutilité de ses attentions. Mais jusqu'à présent elle jouait son rôle à merveille. Mais jouait-elle vraiment ? Leur vie était-elle un jeu de pantomimes ou était-ce lui seulement qui n'acceptait pas son rôle...?
L'agent Jen Keller voulut insulter Trejo quand ce dernier traversa le bureau des COPS avec son cigare au bec, oubliant de ce fait son pari perdu. Mais quand elle vit le regard de son collègue traversant la pièce tel un ectoplasme inconscient de la réalité l'entourant, elle se dit qu'il vallait mieux l'éviter. Elle aimait tout contrôler et son environnement et ses collègues afin de réduire à néant la participation du hasard dans sa prise de décisions. Un manque de confiance en soi couplé à une dose de paranoïa voilà comment elle s'était retrouvée avec le masque de l'austérité. Froide, calculatrice, psychofrigide, ambitieuse ; autant de sobriquets donnés par ses collègues. Elle ne leur en voulait pas car c'est ce qu'elle renvoyait comme image. Façade chimérique la protégeant, ne pas être obligé de se dévoiler même si pour cela la prix était la solitude...
Trejo, elle avait essayé de l'analyser lui aussi. Son comportement l'intriguait. Visage buriné, cheveux longs, moustache de marriachi, carrure de boxeur et flagrant manque de respect des règles et de la hiérarchie, l'archétype de l'homme d'action solitaire. Cerveau binaire du militaire Action sans réflexions ; réactions sans anticipations. Mais voilà à le fréquenter, il dévoila une certaine finesse, un humour noir et corrosif apanage des gens d'esprit. Mais jamais elle ne put percer son armure plus en profondeur. Trejo restait une énigme... et encore plus aujourd'hui alors qu'elle venait juste de croiser son regard. Ce regard qui la renvoyait à ses cours de sociologie criminelle et de philosophie et à cette phrase de Nietschze : "Quand tu regardes l'abîme, l'abîme te regarde." Elle avait croisé son regard aujourd'hui et elle avait rencontré le vide. Trejo n'avait pas de substance, pas d'âme. Simple machine dotée de vie mais sans esprit. Cette pensée la terrifia sans qu'elle puisse dire pourquoi...!?!
Trejo se retrouva au volant de sa Dodge Ram sans avoir vraiment conscience d'être sortit de la morgue. La dernière bouffée de son Partagas le ramena à la réalité. Revenir à des choses tangibles. Un double meurtre avec des signes rituels, en voilà de la réalité made in LA. D'abord recherche sur la base de données des crimes déviants avec symboles... Ensuite recherche crimes sexuels & triades... Les deux gamines devaient propablement avoir des parents ou au moins un mac', c'était déjà un début.
Le pick-up déboula sur la chaussée de Ground Central tel un chien de l'Enfer à la poursuite de sa proie et fonça vers le quartier asiatique... El mexican était de retour...