Je suis née dans une famille heureuse. J'y ai grandi. J'y ai appris les armes. Je m'y suis fiancée. J'y ai aimé. Et puis, ils sont venus. Ils ont tué, brûlé - je me souviens des cris de douleur, des flammes et de l'odeur de la mort, partout. Je me souviens de ma petite sœur et de son regard terrifié, du pied botté écrasant son dos. Et du reste. Du reste, avant qu'elle meure. Jusqu'à la fin, nos yeux se sont agrippés. Elle m'a donné la force de rester immobile dans les ombres, de vivre pour la venger, pour les venger. Je sais que l'assurance de me voir vivante lui a permis de mourir en paix.
J'ai survécu.
Je les ai traqués. Longtemps. Je les ai tués, tous. J'ai appris sur le tas. Maladroitement, au début. Puis, avec l'expérience, plus discrètement, sans laisser de traces. Je suis remontée jusqu'à la source. Je me suis insinuée parmi ses serviteurs. Je l'ai empoisonné. Cette nuit-là, je suis grimpée jusqu'au sommet de la tour de ce fief en ruines, et j'ai hésité : devais-je vivre, encore alors que je ne n'avais plus personne, alors que ma vengeance était accomplie ? Etait-il temps d'en finir ?
Je me suis rappelé leurs conversations, leur violence, leur soif de meurtre, de sang. Ces monstres étaient légion. J'ai décidé que je consacrerai le reste de mon existence à les combattre. Au nom des miens. Au nom de l'amour perdu. Au nom de la lumière.
Trois ans ont passé.
J'ai sauvé des vies. J'en ai vengé. Je me suis fait des ennemis. Dont le frère d'une de mes victimes. Aveugle et sourd à la vérité, lorsque je lui ai révélé, face à face, qui ce dernier était vraiment. "Sorcière" "Fille du Diable". Il ne lui venait pas non plus à l'esprit qu'une femme puisse tuer sans aide du démon. L'imbécile. c'est ce que j'ai fini par lui dire. Et aussi, que je ne craignais pas la mort. Que je l'étais depuis des années, depuis qu'un de ses semblables avait détruit ma vie.
J'étais blessée. J'aurais fini brûlée, sans doute. Si toutes les sources de lumière ne s'étaient pas éteintes à cet instant. C'était la première intervention de mon sire. Qui m'a juste donné les moyens de fuir, ce que j'ai fait - et de continuer avec la réputation d'être une sorcière... J'étais plus forte qu'avant. Et mes plaies s'étaient refermées en un éclair. Et je faisais des rêves étranges. Des rêves d'ombres et de sang, dans lesquels apparaissait un mystérieux visage... J'ai cru un moment être marquée par le démon. Puis par Dieu. Et puis, j'ai décidé que, quelle que soit l'entité qui m'avait donné cette chance, c'était à moi de forger la suite de ma destinée.
Six mois se sont écoulés. Le chasseur a perdu ma trace.
Et mon sire m'a infantée.